Publié le 04/06/2019

L’indignité de l’élevage industriel

 

Il était une fois un cochon. Notre cochon n’avait pas de nom mais un numéro de série enregistré dans une puce, incrustée dans l’une de ses oreilles. Sa maman était une truie reproductrice, issue de soigneux croisements génétiques et dopée aux œstrogènes et autres hormones qui lui permettaient de mettre bas près de vingt-cinq porcelets en moyenne. Comme ce petit cochon naquit sain et bien rose, on ne le tua pas tout de suite, contrairement à ses frères malformés et moins grands. À peine sorti du ventre de sa mère, le porcher le prit avec lui et, malgré les cris et les protestations du petit cochon, le castra, lui coupa la queue et lui lima les dents. Il put ainsi retourner près de sa mère et téter sans lui abîmer les mamelles.

 

 

 

Pour s’assurer qu’il puisse grandir rapidement et qu’il n’y ait aucun problème lors de l’allaitement, sa mère est maintenue immobile, couchée sur le flanc pour ne pas l’écraser. On lui administre des antibiotiques afin de prévenir l’infection de ses mamelles. Vingt et un jours plus tard, le petit cochon sera séparé d’elle, déjà en condition pour porter de nouveau vingt-cinq autres petits cochons. Lui est grand maintenant. On le met donc dans un box dans lequel il peut à peine se mouvoir. Sa nourriture est déversée automatiquement dans une auge, grâce justement à la petite puce électronique qu’il a dans l’oreille. Le petit cochon commence à déprimer : il vit confiné dans le noir, noyé dans une atroce odeur d’excréments, d’ammoniac, sans voir ni toucher ses petits camarades. La chaleur est infernale et le bruit de la ventilation assourdissant. La chaleur se justifie par le fait qu’ainsi il ne gaspille pas d’énergie pour se réchauffer. L’absence de contact avec ses congénères devraient permettre d’éviter la transmission des maladies… Mais voilà, le cochon est un animal hyper-sensible qui souffre de cet isolement; on lui donne donc des antidépresseurs et, à titre préventif, des pré-mélanges médicamenteux incluant des antibiotiques : car les « précautions » prises ne suffisent pas pour éviter les maladies. Durant six mois, notre cochon devenu adolescent, nourri ou plutôt gonflé d’aliments hyper-énergétiques, grossit. Il grossit grâce aux cocktails de vitamines et additifs que les producteurs d’aliments ajoutent à sa ration journalière, aliments fabriqués à partir de tous types de déchets de l’agro-industrie : industrie des agrocarburants, industrie de l’huile, amidonneries, brasseries, etc. Il y a quelques années encore, on lui aurait donné des farines issues de cadavres d’animaux, mais ce n’est plus possible 1.

 

Après six mois de ce régime, le petit cochon est devenu très grand ; il pèse maintenant près de cent vingt kilos. On le conduit donc en camion à l’abattoir robotisé où – quand les employés des abattoirs font leur travail dans les règles – il reçoit une décharge électrique avant d’être saigné et transformé en pièces de viande ou en charcuterie. Quelques jours plus tard, il sera sur les étals des supermarchés, prêt pour que vous l’achetiez. Ce sinistre récit de la vie infligée à l’un des animaux qui nous est le plus familier, est issu de l’enquête que rapporte Isabelle Saporta dans Le livre noir de l’agriculture 2 avec force détails. Elle ne s’applique d’ailleurs pas seulement aux porcs : tout animal élevé en batterie vit dans de telles conditions. Non seulement ces conditions de vie relèvent de la maltraitance animale, mais elles ont des conséquences sanitaires et environnementales graves. Les antibiotiques, hormones et autres antidépresseurs se retrouvent dans notre assiette ; le lisier et les déchets font office d’assaisonnements polluants pour l’eau et les sols. Le retour à davantage de sens commun dans l’élevage est indispensable pour une gestion du cheptel respectueuse des consommateurs, des animaux, de l’environnement mais aussi des éleveurs. Diminuer la taille des élevages, diversifier les races, exiger que les animaux vivent à l’air libre et dans de bonnes conditions n’est pas une hérésie économique.

Elle relève du bon sens : ni les animaux, ni les plantes ne peuvent être produits sur le mode industriel sans conséquences dommageables.

 

Il serait juste de revenir à plus de mesure concernant l’élevage et de cesser de considérer les animaux comme de simples produits. En réorientant les subventions agricoles vers la reconversion des élevages industriels en élevages bio et de petite taille, l’État diminuerait la consommation vétérinaire de médicaments, qui favorise la résistance aux antibiotiques, et rendrait à la viande ses qualités gastronomiques et nutritives. Cette politique revaloriserait et humaniserait le travail des éleveurs, rendrait leur beauté à des espaces défigurés par l’érection des usines à viande ; elle éviterait de noyer des territoires sous des marées de lisier aux odeurs pestilentielles, qui contaminent gravement les nappes phréatiques et souillent les côtes bretonnes avec les algues vertes. Et renforcerait, tout simplement, notre humanité, en évitant aux animaux d’inutiles souffrances et cruautés.

 

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1 La commercialisation de farines animales a été interdite après le scandale de la vache folle en 1990.

2 Soporta, Isabelle, Le livre noir de l’agriculture biologique, Comment on assassine nos paysans, notre santé et l’environnement, Paris, Fayard, 2011.